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Où je me prends les pieds dans la carpette

Intermède comique

Les acquisitions que je fais faire pour la Maison de Victor Hugo sont, le plus souvent, justifiées par leur iconographie, illustrant l’œuvre, ou la vie, de Victor Hugo.Ce devrait être assez simple. Seulement… L'iconographie peut être sujette à quiproquo !

Aquarelle sur papier contrecollée sur une feuille provenant d’un album, 20,5 x 11,8 cm

Maisons de Victor Hugo, Paris / Guernesey

Acheter une aquarelle anonyme au sujet incertain peut comporter un risque.

Un beau jour on me signala le portrait au crayon de Victor Hugo par Jules Ziegler, qui n’était alors connu que par la gravure qui en avait été tirée. Il fallait se décider vite pour réserver l’œuvre. On était en fin d’année, j’avais déjà épuisé le crédit d’acquisition et tenais encore en attente des projets d’achat pour l’année suivante. Fort heureusement le Musée de la Vie romantique put prendre le relai et faire entrer cette feuille dans le patrimoine parisien.

Le portrait se trouvait parmi un petit lot de dessins détachés d’un album amicorum – et arrivés tels quels chez le marchand – qui par leur ensemble laissaient supposer qu’ils provenaient du milieu romantique, proche du cénacle.

Si j’avais dû renoncer à l’acquisition du portrait de Victor Hugo, en revanche, je m’intéressais à une aquarelle pour laquelle il y avait moins d’urgence et d’une somme bien moins importante. On y lisait un témoignage des représentations d’Hernani qui en faisait une chose bien tentante ! On n’a guère d’œuvres originales se rapportant à l’événement. Il était bien alléchant d’en tenir une !

Certes, on le sait, le « première d’Hernani » est largement une légende, un récit construit après coup, rabattant sur la première les réactions houleuses des représentations suivantes. Le succès du premier soir ayant pris de court les classiques qui se mobilisèrent ensuite.

Ceci n’empêchait pas qu’un artiste du cénacle ait pu laver sur le vif une aquarelle gardant le souvenir des représentations ou bien, juste après coup, brosser une image souvenir de moment malgré tout mémorable.

Les arguments ne manquaient pas. Sur le papier c’était pratiquement imparable… et d’autant plus imparable pour moi qui listais ces arguments.

Une première plausibilité tenait à la provenance et à la juxtaposition du portrait par Ziegler. Celui est daté du 11 février 1830, durant la période des répétitions d’Hernani dont la générale aura lieu le 24 et la célèbre première le 25. Quoi de plus logique que de trouver dans l’album d’une personne, de toute évidence, proche du milieu romantique, à côté du portrait de l’auteur un souvenir de son succès du moment.

Mais ce qui emportait la conviction, c’était avant tout l’iconographie !

Au premier plan, à droite, précisément dessinées, deux jeunes femmes dont une de dos et l’autre qui se retourne vers nous (vers le « spectateur » comme on dit). Au fond, à gauche, surélevés, deux personnages, l’un, barbu, dans une sorte de pourpoint gris, des armes à la ceinture, se dirigeant vers le second, vêtu d’une robe blanche lui dénudant, l’épaule. Ces deux personnages, sont eux rapidement brossés, de façon plus allusive, le visage du personnage en robe blanche n’est pratiquement pas visible.

On a guère de mal à se convaincre que ces deux personnages, en hauteur, ne sont autres qu’Hernani et doña Sol, à la seconde scène du drame. Ils collent parfaitement aux didascalies. La scène se passe dans la chambre de doña Sol :

  • « Entre Dona Sol, en blanc », ici nous avons une chemise blanche, dénudant l’épaule comme pour rappeler que la scène se déroule de nuit, dans « une chambre à coucher », comme pour souligner un certain érotisme qui a contribué au scandale de la pièce.

  • « un costume de montagnard d’Aragon gris, avec une cuirasse de cuir, une épée, un poignard, et un cor à la ceinture », cela pourrait convenir à notre homme et trois traits rapides qui paraissent rappeler tout l’attirail d’Hernani.

Les deux jeunes femmes au premier plan nous font tellement et si immédiatement penser à ces jeunes beautés parisiennes et romantiques qui ont tant inspirées Deveria. Juste un doute, leur robe et leur coiffure sont-elles celles de la mode automne-hiver 1829-1830 ? Et bien non ! Vérification faites auprès des collègues du Palais Galliera.

Ceux-ci me répondent fort aimablement que ni les robes, ni les coiffures ne correspondent à la silhouette de la parisienne de 1830. « Les manches à crevée, les cols relevés et les « bourrelets » aux emmanchures ainsi que les étoffes qui paraissent assez épaisses et raides font penser à la veine historiciste, certes très en vogue dans ces années mais interprétés de manière différente peut-être un peu trop marquée (presque de l’ordre de la reconstitution tout comme les coiffures). »

Tout s’éclaire ! Il s’agit donc d’actrices assistant aux répétitions qu’un ami peintre a immortalisées dans cet événement si symbolique pour leur cénacle. À partir de là on peut se faire tout le cinéma qu’on veut imaginant que celle qui, justement, se retourne vers nous est la dédicataire de l’album amicorum et qu’elle nous dit droit dans les yeux : « Hernani, moi monsieur, j’y étais ! ».

*

Reste un impondérable : la vie personnelle du conservateur ! Je vais à Venise tous les deux ans. Je ne revisite pas toujours les mêmes lieux et il y avait plusieurs années que je n’étais pas retourné voir dans la sacristie de l’église San Polo le merveilleux chemin de crois de Giandomenico Tiepolo… Mais cette année oui. Et à la station où le Christ est dévêtu avant d’être cloué sur la croix, je retrouvais, Doña Sol, Hernani et mes deux actrices romantiques, qui occupaient le quart inférieur droit du tableau.

Si le Christ n’est pas encore cloué sur sa croix, je suis bel et bien, moi, cloué sur ma honte. Et j’en boirai le vinaigre à l’éponge quand, en septembre, un lecteur attentif de la Revue des Musées de France relève ce fâcheux collapsus de la mémoire visuelle… Et je ne m’autorise même pas la lâcheté de partager cette honte avec les membres des deux commissions devant lesquelles cette proposition d’achat a été présentée.

*

Conclusion : l’iconographie n’est pas une science exacte !

Mais bon, il n’y a pas mort d’homme. L’aquarelle est jolie. On taxait les peintres romantiques de « vénitiens » et on a là une document de première bourre sur cette manie vénitienne. On pourrait même se risquer à une attribution. Se basant de nouveau sur la proximité du portrait de Victor Hugo par Ziegler dans l’album d’origine et comme Ziegler expose une vue de Venise au Salon de 1832… Mais gare ! On pourrait se poser de nouvelles questions : pourquoi ce découpage dans le tableau de Tiepolo ? Pourquoi la suppression du bras tendu qui venait devant le Christ et pourquoi l’élision de son visage ? Pourquoi la jeune femme qui nous regarde ne semble plus aussi attristée par la Passion prochaine du Sauveur ? Et si cette partie de la peinture lui avait rappelé le souvenir de deux actrices assistant quelques mois auparavant, aux répétitions d’Hernani ? Ah ! Démon de l’hypothèse quand tu nous tiens…


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